Un titre de propriété intellectuelle est incontestablement un actif dans le sens économique du terme. Il crée et conserve de la valeur, ou un potentiel de valeur dans le temps. Cependant, un titre de propriété satisfait difficilement aux critères comptables pour que la valeur qu’il représente puisse être transposée objectivement en tout ou partie à l’actif du bilan.
Les normes comptables imposent des règles de prudence qui rendent souvent complexe l’activation de la valeur des actifs de propriété intellectuelle au bilan. Cette activation dépend aussi de la norme comptable utilisée et du mode d’acquisition de l’actif, selon qu’il soit issu d’une production interne ou d’une acquisition externe. La révision de la valeur et les amortissements suivent aussi des règles. Bien évidemment il faut tenir compte des incidences fiscales et des financements.
L’évaluation financière
Il existe trois méthodes de valorisation caractérisées :
- La méthode basée sur le revenu est la plus couramment utilisée pour évaluer les actifs de propriété intellectuelle. Elle consiste à estimer la valeur d’un actif en partant du revenu économique qu’il est censé générer, et en l’actualisant.
- La méthode basée sur la valeur de marché s’appuie sur le prix réel payé pour la cession de droits sur un actif de propriété intellectuelle analogue dans des circonstances comparables.
- La méthode basée sur le coût consiste à établir la valeur d’un actif de propriété intellectuelle en calculant le coût associé au développement d’un actif similaire ou les coûts que le preneur de licence encourrait pour obtenir un actif similaire ou identique auprès d’une autre source.
La valorisation financière objective d’une innovation et plus encore d’un portefeuille est un vaste sujet. Elle fait souvent l’objet d’arbitrages entre le management et les services financiers ou les commissaires aux comptes, pour servir les différents objectifs de l’entreprise. Quand bien même cette valorisation s’appuie sur de nombreux métriques, il reste néanmoins quelques considérations qui peuvent être subjectives, notamment celles relatives aux risques ou aux incertitudes, et à l’asymétrie d’information.
Les risques pour les marchés financiers
Il ne faut pas confondre risques et incertitudes. Une situation de choix face à un avenir incertain est une situation de risque lorsqu’il est possible d’associer à chaque choix une distribution de probabilité de résultats. Une situation d’incertitude se fait jour dès lors qu’on n’est pas en mesure d’établir une telle distribution.
On peut donc circonscrire les risques d’une innovation, les « quantifier », on ne le peut pas pour les incertitudes. Les marchés financiers peuvent comprendre les risques et après analyse prendre des positions, des paris, spéculer aussi. Mais ils n’apprécient pas vraiment les incertitudes, quoique. Dans les deux cas, il y a constitution d’une « prime de risque » plus ou moins élevée. Prime qu’il faut savoir expliquer et exploiter judicieusement.
Les incertitudes juridiques
Pour certains analystes, un titre de propriété intellectuelle est considéré comme une « gageure » du fait de son incertitude juridique. On parle de probabilistic patents tant cette incertitude peut paraitre forte. Sur ce plan, il est indiscutable que si un titre perdure à l’épreuve d’un litige post-octroi, ou à une opposition pré-octroi, c’est un signal fort de sa robustesse. La valeur du titre peut à l’évidence en être affectée positivement.
Dans ce cadre juridique, il faut savoir que depuis quelques années, le recours à la propriété intellectuelle s’est accru, non plus comme moyen de protection mais comme arme de nuisance ou de dissuasion à l’encontre de concurrents ou de nouveaux entrants. Des entreprises se sont même spécialisées sur ce « créneau ».
L’asymétrie d’information
Il existe un décalage entre les capacités et qualités des entreprises en matière d’innovation, et les ratios quantitatifs et qualitatifs imposés par les systèmes financiers à leur encontre. Ces facteurs génèrent une asymétrie d’information entre le détenteur de l’actif immatériel et les publics financiers, notamment les banques et investisseurs.
L’asymétrie d’information est généralement en défaveur de l’investissement R&D, et donc des entreprises innovantes. Cependant, par une communication adaptée, extra financière ou non, il est tout à fait possible de réduire cette asymétrie. Une telle communication est cruciale. Elle doit être parfaitement alignée avec les objectifs poursuivis, que la propriété intellectuelle touche le cœur de métier de l’entreprise ou introduit une « diversification » des activités.
Valoriser le secret des affaires
Enfin, si les titres de propriété d’une innovation peuvent être valorisés comme des actifs au bilan, la valorisation d’une innovation protégée par le secret des affaires n’est pas aisément faisable. Par contre, tout comme pour les titres, il est possible de valoriser l’octrois de licences ou de différents types de collaborations tels que des transferts de technologies avec des partenaires ou des clients qui souhaiteraient l’utiliser, par exemple.
“Déterminer la valeur économique d’une innovation, l’anticiper, la faire évoluer et la communiquer, relève de mécanismes complexes. Une approche systémique peut paraitre nécessaire pour nourrir la démarche analytique et conduire à établir une valeur objective. Toutefois, cette dernière reste difficilement probante tant les risques, les incertitudes et l’asymétrie d’information liée est impactante. Inscrire les principes directeurs de la valorisation économique dans une stratégie de management de l’innovation sert alors à donner une lecture raisonnée et asseoir la confiance des tiers.
Cet article fait partie d’une série intitulée « L’innovation de l’idéation à l’exploitation ». Cette série aborde certaines composantes de l’innovation afin de mieux appréhender cet univers. Si tout le monde peut avoir une idée, c’est un long processus que de la matérialiser, la tester, l’industrialiser, la commercialiser, et bien entendu valoriser et protéger la propriété intellectuelle qui en est issue.
Différencier création, invention et innovation, idéation et créativité
Distinguer les niveaux, visions et types d’innovations
La capacité d’innovation ou la capacité à innover
Les principaux modèles d’innovation
Valoriser et exploiter une innovation
La valorisation économique des innovations
La stratégie de propriété intellectuelle